CHEVAL BLANC



Lorsque nous avions entre 8 et 10 ans, avec ma sœur, nous jouions, au domicile familial, au jeu de CHEVAL BLANC...

Cela consistait, le soir après le coucher, au signal de ralliement "CHEVAL BLANC" (sorte de mot de passe dont l'origine exacte m'échappe), à démarrer à pas feutrés de nos lits respectifs pour aller atteindre un point X, le plus éloigné possible de nos chambres et le plus près possible de la chambre de nos parents, lesquels regardaient en principe la télévision depuis leur lit "formule 1" repliable (si, si, ça existe !), lequel faisait aussi bibliothèque, armoire, étagères et rangement de plein de choses qui ne servaient pas souvent : jumelles, albums photos, films super 8, etc.

Je ne vous cache pas que le but principal était d'aller mater la télé, dont nous étions bien évidemment privés toutes les veilles de jours de classe. Pour cela, nous avions trouvé une technique : le reflet dans la porte vitrée du salon ! Ladite porte n'était qu'à quelques mètres du téléviseur et il nous suffisait de l'orienter discrètement pour pouvoir nous délecter, les yeux brillants et la peur au ventre, de ces images volées...

Mais bon, avant d'en arriver à ces brefs moments d'indicibles extases, il fallait progresser dans "le couloir de la mort"... Nous prenions néanmoins un vif plaisir à braver l'interdit parental et à être plus intrépide l'un que l'autre. Instinctivement, afin de mettre de l'enjeu dans cette épreuve et créer l'émulation, nous avions convenu de nous rendre compte mutuellement de nos performances : le jeu interdit virait ainsi chaque soir à l'Aventure ! Donc, à chaque "sortie" nous devions annoncer à l'autre jusqu'où l'on comptait aller puis, au retour, jusqu'où nous étions effectivement allés : "3ème placard", "porte de la salle de bain", "porte du petit placard dans le hall", "porte du salon".

Je crois, de mémoire, être allé (une fois où je ne m'étais pas contenté du simple "reflet dans la porte de salon"), jusqu'au rideau séparant le séjour de la chambre des parents, sans me faire gauler, quasiment en apnée, de peur que ma respiration ne me trahisse : un authentique exploit, car en avançant au ralenti sur la moquette grise, tel un varan guettant sa proie, j'avais dû me faire de sacrés biscottos et apprendre à dominer ma peur !!!

En fait, la grosse subtilité dans cette épreuve c'était qu'on devait y aller l'un après l'autre, dans un ordre prédéfini (du genre : "moi j'y vais d'abord, sinon j'te tire les cheveux")... donc je commençais... Et c'est là où résidait toute la difficulté de ce jeu, que dis-je de ce Sport, tant cela exigeait concentration, équilibre, maîtrise de soi et agilité : car pendant que le premier concurrent... concourait, l'autre, dans le noir quasi-complet, embusqué en spectateur-voyeur derrière un des montants de son pas de porte de chambre, revêtu d'un pyjama grotesque car moulant (de préférence à motifs rayés multicolores ou en gros velours orange et vert, ou parfois les deux), l'autre donc, luttait de toutes ses forces pour réfréner un fou rire grandissant, qui ne manquerait pas d'attirer l'attention et donc les foudres de Papa... ce qui arrivait de toute façon 9 fois sur 10 ... inéluctablement !!!

Alors, bien sûr, celui "en piste" tentait bien de faire taire le second par des "chuttt, ferme-là ... tu vas nous faire chopper", ou bien alors, gagné par son fou rire, tentait, en mettant ses deux mains quasiment dans sa bouche, d'étouffer des spasmes terribles... et se mettait aussi à rigoler en faisant des bruits rigolos, encore plus fort (et là il y avait retraite précipitée, car soit le second avait balancé un coussin ou un oreiller dans le couloir (argh, le traître !), soit on entendait les pas de Papa qui résonnaient sur la moquette grise (le fait qu'elle soit grise n'influait pas sur la résonance) ... alors là on avait les cheveux qui se hérissaient, les (quelques) poils du dos qui devenaient durs, avec de méchants picotements de peur et on allait "s'enrouler comme des cloportes" dans nos pieux recouverts de couvre-lits côtelés, bleu ou rose, priant pour être épargné et que ce soit l'autre qui dérouille en premier... et là c'était terrible car quand papa arrivait jusqu'aux chambres c'était bien souvent après qu'il ait émis plusieurs avertissements sonores du genre "c'est fini là-bas" (grosse voix) ... en fait on savait qu'il ne bougeait pas tout de suite car quand on est bien au chaud dans son lit "Formule 1", à regarder avec "Maman" un polar des années 60 ou une émission de variétés de Maritie et Gilbert Carpentier, c'est pas facile de s'extraire... donc y'avait une certaine tolérance, une marge d'erreur pour nous, mais comme souvent on n'arrêtait pas après les premières injonctions verbales, ça finissait fatalement par du poil arraché... donc papa arrivait, tel la bête du Gévaudan, les yeux injectés de sang, le souffle court (le couloir était long et l'éjection du lit "Formule 1" faisait en plus monter la pression, tout prof de sport qu'il était)... et là (souvent) il commençait par ma chambre (normal : l'aîné est toujours le prem's), avec une action ainsi décomposée :

1/ arrachage d'une main de l'ensemble couvre-lit+drap...

2/ de l'autre main "chopage" du blaireau en dessous...

3/ retournage du blaireau (hurlant)...

4/ chauffage à vitesse supersonique des fesses du blaireau (couinant) à l'aide de la main libre (celle-ci ayant entre temps lâché les draps)...

5/ reprise de l'action à partir du 1/ mais dans la seconde chambre, avec cette fois dans le second rôle une musaraigne (stridente)...

En fait, il valait mieux y passer tout de suite car quand on passait en second c'était pire, because on entendait l'agonie du premier en sachant qu'après c'était notre tour et... c'était encore plus horrible ! A tel point que parfois, pendant "l'extermination" du premier, on allait se planquer ailleurs : recoin de meuble, placard de chambre ou trou de souris quelconque... vaine tactique qui nous desservait plutôt qu'autre chose, car les quelques secondes supplémentaires que notre paternel mettait ensuite à nous trouver, renforçaient sa détermination... détermination qu'on mesurait d'ailleurs très bien sur la cadence, sensiblement accélérée dans ces cas-là, du "chauffage de fesses" !

En fait, je crois qu'avant ce débarquement punitif, l'instinct de conservation aidant, on aurait pu se déguiser en lustre, ou en taie d'oreiller, ou se glisser derrière le papier peint, tellement on avait le trouillomètre à zéro lors des charges épiques de ce "Papa-garou" !!!

De toute façon, ça ne nous calmait que quelques jours, puis nous recommencions...

L'Aventure du CHEVAL BLANC s'est ainsi poursuivie longtemps... J'ignore combien de fessées cela nous a coûté, car j'ai oublié les sensations de ces "chauffages de fesses" (quoique !), afin de ne conserver que le souvenir de ces moments d'espièglerie !








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